Anne-Jean-Marie-René Savary, premier duc
de Rovigo est né à Marcq près de Vouziers
(Ardennes) le 26 avril 1774, et mort à
Paris le
2 juin 1833. Il est général
d'Empire puis ministre de la Police de 1810 à 1814. Il prend
également part à la conquête de l'Algérie,
de 1831 à 1833.
Carrière
militaire Troisième fils d’un militaire, ancien major de la place de Sedan
[1],
Savary est élevé au collège Saint-Louis de Metz. En 1790, à tout
juste 16 ans, il s'engage dans un régiment de cavalerie,
le Royal-Normandie et participe à ce titre à la répression du
soulèvement de la garnison de Nancy contre
ses officiers nobles
[2].
Bénéficiant du départ de plusieurs officiers du roi vers l'étranger, il
est promu sous-lieutenant en septembre 1791. Savary
sert par la suite, en 1792, dans l'armée du général Custine qui affronte les troupes du duc de Brunswick. À la suite de cette
campagne il devient capitaine. Savary est ensuite nommé officier d'ordonnance du général Pichegru puis du général Moreau au cours des campagnes du Rhin. En 1793, il
assiste aux batailles de Berstheim
et de Wissembourg ainsi qu'à la
levée du siège de Landau.
Il sert comme aide de camp du général Férino dans l'armée du Rhin
[3].
Il effectue le premier, à la tête d’un bataillon d’infanterie, le passage du Rhin, en 1796 et se
fait de nouveau remarquer lors de la traversée de la Lech
[4] ainsi que durant la retraite de Bavière.
Au nouveau franchissement du Rhin, en 1797, Savary
est encore chargé du premier débarquement des troupes. Il traverse le
fleuve en plein jour, sous le feu du canon et de la mousqueterie, et se
maintient sur la rive droite jusqu’à ce que le pont soit jeté
[5].
Il se distingue à nouveau pour sa bravoure, la même année, en
organisant une troisième traversée du Rhin pour abandonner une position
intenable en plein cœur de la Souabe. Il
est fait à l'occasion chef d'escadron.
Il devient également aide
de camp du général Desaix qu'il suit dans l'armée
du Rhin, puis de 1798 à 1800 dans l'armée d'Orient au cours
de la campagne d’Égypte.
Savary commande les troupes du débarquement de la division Desaix à Malte
[6] puis à Alexandrie
[7] et participe à la bataille des Pyramides. Il sert
encore sous les ordres de Desaix lors de la deuxième campagne d'Italie, et
ce jusqu'à la bataille de Marengo, où le général, sauvant le consul Bonaparte, trouve à la fois la victoire et la mort. Savary
transporte lui-même le cadavre de son supérieur sous la tente de
Bonaparte
[8].
Celui-ci, se fiant au jugement du général défunt et impressionné par
l'indéfectible loyauté de Savary, fait aussitôt de lui son propre aide
de camp.
L'homme
de confiance de Bonaparte Premières opérations de
police Le premier consul fait de Savary
son homme de confiance. Celui-ci l'accompagne dans tous ses déplacements
et se voit chargé de missions délicates. Ainsi il reçoit l'ordre, en
septembre 1800,
de diligenter une enquête sur l'enlèvement du sénateur Clément de Ris
[9][10],
puis la même année, part pour la Vendée pour débusquer les complices du chouan Cadoudal. Savary devient ensuite colonel
puis commandant de la gendarmerie d'élite attaché à la protection de Bonaparte, en septembre 1801
[11].
Bonaparte le place dans le même temps à la tête d'une police militaire
secrète chargée, entre autres, de surveiller les différents organes de
police, à savoir, notamment, le ministère de la Police de Fouché et la gendarmerie nationale
de Moncey.
Savary devient un intime de la famille Bonaparte et est fréquemment invité aux fêtes de
la Malmaison. C'est là qu'il rencontre une
lointaine parente de Joséphine de Beauharnais et amie de
classe de sa fille Hortense, Félicité de Faudoas
[12].
Avec la bénédiction du premier consul
[13],
le mariage a lieu le 27 février 1802, suivi, à
la fin de l'année 1802, par la naissance de la petite Joséphine-Hortense
[14].
Les activités de police de Savary lui valent le 29 août 1803 une
promotion au grade de général de brigade. En octobre 1803, sa
police révèle l'existence d'un projet d'enlèvement visant le premier
consul organisé par Cadoudal et le général Pichegru. Ce complot implique, par
ailleurs, le général Moreau. Savary réussi à s'introduire avec
beaucoup d'habileté au sein des comploteurs, dans leur lieu de réunion
de Biville,
en Normandie.
Il décrypte les codes utilisés par les royalistes
mais ne parvient pas, en se faisant passer pour l'un des leurs, à
persuader le comte d'Artois, futur Charles X, de revenir en France. Pichegru est arrêté et
se suicide le 4 avril 1804 au Temple où il est emprisonné
[15],
tandis que Moreau est banni
[16].
Cadoudal est, quant à lui, arrêté le 9 mars 1804 et
interrogé par les services de Savary
[17].
Celui-ci apprend par ce biais que les conspirateurs attendaient le
retour d'un prince de sang royal en France pour mettre
Affaires étrangères, Talleyrand
[18],
décide alors de faire arrêter le duc d'Enghien, prince de Condé et prince du sang, qui, depuis les rangs
des émigrés, est suspecté d'avoir participé au
complot. Dans la nuit du 15 mars 1804, un
détachement de dragons sous les ordres du général Ordener pénètrent illégalement en territoire allemand, à Ettenheim,
et enlèvent le duc qu'ils ramènent à Strasbourg.
Le 20 mars 1804, il est
transféré à Vincennes et jugé le soir même, sans
témoins, par une commission militaire. Le général Hulin, commandant des grenadiers de la garde consulaire, est placé à
sa tête. Savary, qui dirige des troupes de la gendarmerie d'élite
réunies à Vincennes ne fait pas partie de la commission mais assiste aux
délibérations
[19].
Après un court interrogatoire où le duc nie le complot mais se targue
de combattre la République, le prince de Condé est
rapidement condamné à mort, pour « complot contre la sûreté de l'État »
[20].
Il semble qu'à la demande de l'accusé, le général Hulin ait envisagé
de suggérer à Bonaparte, avant l'exécution, d'organiser une entrevue
entre eux. Hulin déclarera par la suite
[21] que Savary lui aurait arraché la plume des mains en déclarant « Votre
affaire est finie, messieurs, le reste me regarde. »
[22].
Le duc d'Enghien est alors conduit dans les fossés du château de Vincennes et fusillé, sur
ordre de Savary, par un piquet de gendarmes d'élites. Ce
dernier consacre plusieurs pages de ses mémoires au récit des événements
ayant conduit à cette exécution et s'y donne un rôle très secondaire
[23].
Du général d'Empire au
diplomateBonaparte, devenu Napoléon nomme Savary général de division en février 1805 et lui
remet la plaque de grand
officier de la légion d'honneur. Savary retrouve les
champs de batailles et redevient l'aide
de camp de l'Empereur. Juste avant la bataille d'Austerlitz, à la toute fin
du mois de novembre 1805, Savary est envoyé auprès du tsar Alexandre Ier avec des propositions
de paix
[24].
Il a également pour mission de revenir avec des renseignements sur les
dispositions et effectifs ennemis. Napoléon cherche ainsi à persuader
ses adversaires qu'il est à la veille d'une défaite assurée. La
proposition est rejetée; le 2 décembre 1805, les forces coalisées sont écrasées
Savary participe ensuite à la Campagne de Prusse et de
Pologne, contre la quatrième coalition.
Il s'illustre lors de la bataille d'Iéna, le 14 octobre 1806 où,
poursuivant les bataillons prussiens en déroute, il parvient à capturer tout un régiment
de hussards. Il s'empare peu après, le 20 novembre 1806, de la
forteresse de Hamelin.
Le général Savary est placé, au début de l'année 1807, à la
tête du V
e corps d’armée, à la place du
maréchal Lannes. Il couvre, à ce titre, la ville de Varsovie
contre les Russes après avoir combattu à la bataille d'Eylau. Le 16 février 1807, il
dirige les troupes françaises à la bataille
d'Ostrołęka et défait nettement les troupes russes du général Ivan
Nikolaïevitch Essen.
Savary
[25].
L'Empereur le récompense généreusement puisqu'il reçoit un brevet d'une
pension de 20000 francs et le cordon de grand-aigle de la
Légion d'honneur.
Après les batailles d'Heilsberg et de Friedland, Savary devient gouverneur
de Prusse-Orientale. Suite à la paix de Tilsit de juillet 1807 entre l'Empire français et l'Empire russe, le général est envoyé comme plénipotentiaire à Saint-Pétersbourg, où il doit surveiller
l'application des clauses secrètes du traité, et notamment la mise en
place du blocus continental. En dépit de multiples
démonstrations d'amabilité du tsar Alexandre Ier, l'aristocratie russe
lui ferme ses portes, peu disposée envers l'envoyé de Napoléon, le
représentant d'une nation révolutionnaire, hostile,
surtout, au « bourreau de Vincennes », à l'assassin d'un prince de sang
royal
[26].
S'il parvient, très progressivement, à se faire tolérer dans la bonne
société, Savary reste très mal à l'aise dans cette situation. Ses
habitudes, sa franchise et son goût pour l'action se satisfont mal d'une
position de diplomate. Très vite, il demande à être remplacé par un
vrai ambassadeur
[27].
Avant la fin de l'année 1807, l'Empereur décide de le rappeler à Paris. Il
est relevé aussitôt par le grand écuyer Caulaincourt.
Savary est de retour en France en janvier 1808. Le 7 février 1808, il est
compris dans la nouvelle promotion de la noblesse d'Empire et devient duc
de Rovigo, titre assorti d'une dotation de 15000 francs. Dès mars 1808, il doit
partir pour l'Espagne.
Le Royaume d'Espagne est alors secoué par une grave crise politique.
Le pouvoir était partagé entre le roi Charles IV d'Espagne, le ministre Manuel
Godoy (honoré du titre de
Prince de la Paix), par ailleurs amant de la reine Marie
Louise de Bourbon-Parme et l'héritier de la couronne, le prince des Asturies, Ferdinand. Le roi ne dirigeait plus
dans les faits, sous l'influence de Napoléon il avait accepter de
laisser la Grande Armée franchir les Pyrénées
pour qu'elles prennent possession du Royaume du Portugal tandis que son
premier ministre Godoy dirige les affaires internes.
Le 17 mars 1808, le
prince des Asturies organise un soulèvement à Aranjuez
contre son père et Godoy. Il prend le pouvoir sous le nom de Ferdinand VII et fait arrêter le
Prince de la Paix.
Napoléon est las de la faiblesse de son allié. Il est à ses yeux
nécessaire que l'Espagne comme tous les pays d'Europe applique
scrupuleusement le blocus continental visant à affaiblir l'ennemi anglais.
Contre les conseils de Talleyrand,
l'Empereur envisage la conquête de la péninsule et la mise sur le trône
de l'Espagne d'un de ses proches. Il entend profiter des protestations
de Charles IV pour intervenir, d'autant que le grand-duc de Berg Joachim
Murat, en vertu du traité de Fontainebleau est
présent avec une armée en Espagne.
Savary est immédiatement envoyé sur place pour communiquer les ordres
de Napoléon au maréchal Murat. Tous deux doivent parvenir
à emmener Ferdinand VII en France afin qu'un frère de l'Empereur soit
placé sur le trône
[28].
Mais ces ordres sont secrets. Pour l'instant les Espagnols se
réjouissent car ils pensent que les Français vont appuyer le pouvoir de Ferdinand.
Droit
dans le piège de Bayonne Article détaillé : Entrevue de Bayonne (1808).
Savary reçoit immédiatement la visite de plusieurs dignitaires
importants de l'entourage du nouveau souverain, notamment le duc de l'Infantado
Savary lui expose les craintes de l'Empereur face à une telle
situation et son souhait de voir les choses reprendre rapidement un
court plus normal. Il parvient à convaincre le prince des Asturies de la nécessité de rencontrer
Napoléon pour plaider sa cause et le rassurer sur son désir de maintenir
des relations cordiales avec la France. Savary l'informe enfin que
l'Empereur est en train de partir vers le sud-est de la France pour
faciliter une telle rencontre. Dans le même temps il le presse de
quitter Madrid
arguant que Charles IV cherchait lui aussi son
soutient. Avec l'aide de Murat
et de l'ambassadeur Eugène de Beauharnais, il parvient à
convaincre Ferdinand de partir. La rencontre est d'abord fixée à Burgos en
Espagne. Le succès de l'opération est à mettre au crédit de Savary
[30].
Elle manque toutefois d'échouer lorsque le grand-duc de Berg demande la
libération du ministre Godoy.
Avisant des inquiétudes soulevées par les partisans de Ferdinand, il
fait très vite machine arrière.
Finalement le prince des Asturies Ferdinand part le 10 avril 1808 pour
Burgos escorté par Savary et des troupes françaises. Arrivés à Burgos,
ils constatent que l'Empereur n'est pas là. Savary convainc le prince et
son escorte de pousser jusqu'à Vittoria. Napoléon n'y est en réalité
pas non plus, il est en fait toujours à Bayonne
où il attend que le prince le rejoigne. En revanche la zone est occupée
par le général français Verdier et ses hommes.
Cette fois, sur les conseils des ducs de San Carlo et de
l'Infantado le prince refuse de continuer. Savary part pour Bayonne et
en revient avec une lettre de Napoléon pour le prince. Il ramène
également des promesses pour le prince et, pour le cas où ça ne
suffirait pas à le persuader, l'ordre de le ramener
manu militari.
Le 20 avril, l'escorte passe en territoire français et arrive peu après
à Bayonne
[31].
L'Empereur charge le soir même Savary, l'auteur même des promesses
mensongères, d'aller annoncer à l'Infant que
c'est Charles IV qui est reconnu comme le roi
légitime d'Espagne
[32].
Godoy, aussitôt libéré par Murat, puis le couple royal se rendent à
leur tour à Bayonne. Finalement Charles et Ferdinand renoncent tous deux
à leurs droits à la couronne en faveur de Joseph Bonaparte tandis que des émeutes populaires à Madrid sont
réprimées dans le sang par le maréchal
Murat
[33].
Commandant des
troupes françaises à Madrid La révolte éclate et perdure tout au long du mois de mai en Espagne.
Napoléon charge Murat de coordonner la répression. Celui-ci
tombe très vite malade et se révèle incapable de diriger les armées
françaises sur place. L'Empereur ordonne donc à Savary de remplacer le
grand-duc de Berg, le temps de son rétablissement. Il se rend à Madrid, et
accepte ce commandement inattendu, et paradoxal. Le général qu'il est
se retrouve ainsi à donner des ordres à deux maréchaux, Bessières et Moncey, qu'il doit de plus
faire contresigner par le chef d'état-major de Murat, le général Belliard, qui répugne à lui obéir
[34].
Alors que la maladie de Murat s'aggrave.
Le duc de Rovigo s'oppose très vite à l'ambassadeur La Forest sur
l'attitude à adopter. Tandis que le général se préoccupe des besoins et
du bien-être des soldats, le diplomate s'efforce de ne pas brusquer les
ministres espagnols en leur demandant de trop lourdes contributions
financières. Alors que Savary veut répondre à la franche hostilité des
populations par la répression et la violence, La Forest espère gagner
les cœurs en temporisant la situation. De fait, le général accumule les
impairs. Il fait, par exemple, fêter chaque victoire contre les insurgés
par une salve de canon tirée de la forteresse madrilène du Retiro, ce
qui vexe dans leur honneur national même les plus francophiles des
espagnols (les
afrancesados).
Le 29 juin 1808, Murat
est enfin autorisé à rentrer en France et Savary est chargé d'assurer le
commandement-en-chef des troupes française en Espagne, ce jusqu'à
l'arrivée du roi Joseph. Toutefois la situation ne cesse de
s'aggraver : chaque jour de nouveaux foyers d'incendie naissent, les
ordres de Napoléon arrivent systématiquement en décalage avec les
événements et les généraux français, tous débordés, manquent de
renforts. Le maréchal Moncey est bloqué devant Valence, Verdier ne parvient pas à prendre Saragosse.
Mais Savary est surtout inquiet pour le général Dupont embourbé en Andalousie.
Contre ses demandes répétées, l'Empereur lui ordonne de porter les
rares renforts disponibles auprès du maréchal Bessières lui aussi en difficulté en
Espagne du nord. Napoléon ne tient aucun compte de ses remarques
[35] et les troupes partent pour le nord. Bessières remporte grâce à elles
la bataille de Medina de Rioseco
ce qui permet à Joseph de partir pour Madrid, où il arrive le 20
juillet.
C'est à ce moment que les autorités apprennent la nouvelle de la
capitulation du général Dupont à la bataille de Bailén. Les conséquences sont
terribles puisque près de 20000 français sont capturés. C'est la
première défaite importante de l'armée napoléonienne et elle a un
retentissement inouï chez les espagnols et tout particulièrement les
insurgés. Madrid n'est plus assez défendu, sur le conseil de Savary,
Joseph quitte la ville bientôt imité par le duc de Rovigo qui part
informer l'Empereur des récents événements. Napoléon se montre irrité de
la défaite de Dupont et de la fuite trop rapide de la capitale. Après
l'avoir emmené, en sa qualité d'aide de camp, à l'entrevue d'Erfurt, l'Empereur renvoie Savary en Espagne où
il a pour mission de remettre Joseph sur le trône de Madrid. De retour en ville après
de durs combats, il s'acquitte de tâches ingrates de police. Il fait
arrêter et interroger quantité de suspects, et fait perquisitionner les
demeures des nobles, mais aussi les monastères. En décembre il suit
Napoléon, d'abord à la poursuite d'une armée anglaise, puis en France où
l'Empereur s'inquiète des manigances de deux de ses ministres : Talleyrand et Fouché.
Ministre de la
Police Profitant des rumeurs prétendant l'Empereur mort en Espagne, les
ministres de la Police et des Affaires étrangères, Joseph Fouché et Charles-Maurice
de Talleyrand-Perigord offrent, au vu et au su de tous, la régence
de l'Empire à la femme de son prince. L'impératrice refuse, le maréchal Murat
s'offusque
[36],
et finalement, Napoléon, de retour à Paris, met fin à cette mascarade.
Les deux ministres sont vertement sermonnés par leur maître, toutefois
aucune mesure particulière n'est alors entérinée. La disgrâce de Fouché
n'en est pas moins amorcée, mais son successeur reste encore à trouver.
Souhaitant une Police toute entière à ses ordres,
l'Empereur se tourne donc vers son plus fidèle serviteur, son propre
aide de camp, le général Savary. Celui-ci étant toujours le commandant
de la gendarmerie d'élite,
véritable contre-police, il a par ailleurs l'expérience suffisante, juge
Napoléon, pour diriger la Police générale. Le 1
er juin 1810, une
nouvelle trahison de Fouché, duc d'Otrante
[37] permet la promotion du duc de Rovigo. Fouché n'a cependant pas la
moindre intention de faire quoi que ce soit qui puisse aider le nouveau
locataire de l'hôtel de Juigné
[38].
Après une cordiale entrevue avec son successeur qui lui accorde quelque
temps pour déménager, il va pendant les trois jours suivant son
éviction brûler méthodiquement la quasi totalité des archives de la
Police, des listes recensant les indicateurs aux compte-rendus des agents
secrets, en passant par les fiches élaborées sur tous les personnages
suspects ou simplement puissants et les ordres de mission de l'Empereur.
Il ose même prendre avec lui, lorsque Napoléon, jugeant suspect ce départ retardé, lui intime l'ordre
de quitter les lieux, le reste des documents qu'il n'a pas eu le temps
de détruire.
Dès lors tout les réseaux savamment développés par le duc d'Otrante
sont à reconstruire, toutes les informations, à retrouver. Savary
souffre de plus de son impopularité
[39] :
nulle n'ignore sa complète dévotion à l'Empereur. Le général, moins que
quiconque, irait contredire les ordres du maître, pire il les
appliquerait avec grand zèle sans perdre une minute
[40].
Toutefois, petit à petit, Savary parvient et à se faire accepter, et à
remettre en branle la machine du quai
Voltaire. La duchesse de Rovigo organise de nombreuses réceptions
mondaines tandis que son mari fait des efforts notables pour apparaître
moins dur et moins brutal. Dans le même temps, le ministre recrute de
nouveaux collaborateurs à l'image du préfet de police de Paris, Dubois, ou du baron de Norvins.
Savary, avec l'approbation de l'Empereur se rapproche des milieux
royalistes, autant qu'il le peut, « l'exécuteur du duc d'Enghien »
relâche la pression policière sur ces opposants au régime. Il met ainsi
fin, par exemple, à la surveillance de l'abbé de
Montesquiou et améliore les conditions de détention des frère Armand
et Jules de Polignac.
Fiches,
censure et arrestations Le travail du ministre ne se limite toutefois pas à l'organisation de
réceptions et à l'annonce de mesures de clémence. D'autres décisions
bien plus impopulaires sont mises en application. Dans un décret
d'octobre 1810,
Savary oblige tous les domestiques de Paris à se faire recenser au ministère de la Police. Il demande,
la même année, à tous les préfets de ficher tous les notables
influents de leur division administrative, en précisant leurs opinions
politiques, leur fortune, leurs relations et leur situation familiale.
De même, les préfectures doivent répertorier les jeunes filles
de la bonne société bientôt en âge de contracter mariage, dans le but
de préparer des noces avec de jeunes officiers de la noblesse d'Empire. L'objectif du ministre et de l'Empereur
étant de réunir les aristocraties de l'Ancien et du nouveau
régime. Les jeunes garçons d'origine aisée sont également listés afin de
sélectionner parmi eux les officiers et hauts fonctionnaires de demain.
Enfin les représentants de l'État doivent veiller à appliquer
strictement, et sur tous les territoires, la conscription,
c'est-à-dire qu'ils reçoivent pour mission de traquer les déserteurs,
de plus en plus nombreux à mesure que s'approche la fin de l'Empire français.
Les préfets sont évidemment assez mal à l'aise face à ces nouvelles
prérogatives. Pour s'assurer d'être bien obéit, le duc de Rovigo les
fait donc épauler, pour ne pas dire surveiller, par des agents du
ministère, directement à ses ordres
[41].
Par ailleurs ces dispositions s'appliquent sur le territoire français,
mais également dans les régions annexées, en Belgique,
en Hollande
et en Italie
notamment. L'envoi des fils de famille dans les grandes écoles françaises voire directement dans l'armée est très mal perçu par les
populations locales, de même que le mariage des jeunes filles avec des
officiers de l'Empire.
En octobre 1811,
à la suite de demandes répétées du duc de Rovigo, l'Empereur accepte un
projet de censure beaucoup plus radical que ceux alors en
vigueur. Le nombre de journaux tolérés est limité à quatre
[42],
tous les autres sont interdits et leur propriétaires indemnisés. Le
contrôle de la presse passe sous l'autorité du ministère de la Police générale. La
presse en province subit un contrôle similaire : seule une feuille est
autorisée par département, encore doit elle se borner
à copier des extraits du journal officiel,
le Moniteur. Savary veille également sur la
production théâtrale du temps, de nombreuses pièces sont ainsi
interdites. D'un autre côté, ceux qui montrent leur dévouement
particulier pour l'Empire et son prince sont félicités, et même
récompensés financièrement
[43].
L'exemple le plus célèbre de cette frénésie d'interdit est la décision
du duc de Rovigo d'interdire l'ouvrage de Mme de Staël,
De l'Allemagne, avant
même que le conseil de censure ne rende son verdict. Aux yeux de
Savary, ce livre commet la double faute de glorifier le peuple allemand
d'une part et d'omettre les succès militaires français contre la Prusse
d'autre part. L'ouvrage est pilonné, les presses brisées et l'auteur
exilée
[44].
L'humiliation
Malet En dépit de ces efforts pour accroître la puissance et l'autorité de
la Police impériale (ce qui ne va d'ailleurs pas sans causer des
tensions avec les autres ministères
[45]),
celle-ci est totalement ridiculisée lors du coup d'État du général Malet. Le 23 octobre 1812, ce
général, interné pour conspiration, s'évade de son lieu de détention
vers trois heures du matin. Aussitôt, il se rend à la caserne la plus
proche avec un faux sénatus-consulte annonçant à la fois la
mort de Napoléon en Russie et la proclamation de la République. Aidé de
quelques soldats, il se rend à la prison de la Force et ordonne la libération de deux autres
généraux captifs : Lahorie et
Guidal. Ceux-ci, ignorant que Napoléon est bel et bien vivant, et tout à
leur joie de retrouver la liberté, se rallient à Malet. Sur le coup de
sept heures du matin, Guidal et Lahorie pénètrent sans difficulté au ministère de la Police et surprennent
Savary au pied du lit. Guidal, emprisonné sur ordre du ministre
s'empare d'une arme, bien décidé à faire trépasser le duc de Rovigo
[46].
Lahorie, ancien compagnon d'arme de Savary s'interpose, finalement, le
ministre est arrêté et emmené par Guidal à la prison de la Force. Ses
collaborateurs proches, Pasquier et Desmarets subissent le
même sort.
La conspiration finit toutefois par échouer. Malet qui n'a pour l'instant eu
affaire qu'à des soldats ou fonctionnaires crédules ne parvient pas à
convaincre le général Hulin à l'état-major général. En
désespoir de cause il l'abat à bout portant, lui fracassant la mâchoire.
Deux officiers, Laborde et Doucet prennent les choses en main : ils
arrêtent Malet et se rendent au ministère de la Police, où ils ne
trouvent pas Savary mais Lahorie qu'ils arrêtent à son tour. Le ministre
est aussitôt libéré, tandis que les derniers conspirateurs sont mis
hors d'état de nuire. Sur son ordre, des affiches sont placardées dans
les rues, informant la population de l'échec du complot et réaffirmant
que Napoléon était toujours en vie.
Le calme revient à Paris, et le duc retrouve son ministère. Toutefois,
cet épisode le discrédite totalement. Le chef de la toute puissante
Police générale, à la tête d'un vaste réseau d'informateurs et d'agents
secrets s'est révélé incapable de prévoir et même de contrecarrer le
complot d'un déséquilibré. Le ministère a été investi sans aucune
difficulté, et le ministre appréhendé encore en chemise de nuit. Savary
passe de la terreur au ridicule : tout Paris se gausse de sa
mésaventure, notamment de son emprisonnement à la Force, ou plutôt comme
on l'appelle dès lors de son « tour de Force »
[47].
La femme du ministre, elle aussi surprise au lit, est également
raillée : ainsi, l'on prétend que « Mme la duchesse de Rovigo a été la
seule à s'être
bien montrée ». Plus inquiétant encore pour le duc
est la réaction de l'Empereur. Celui-ci est évidemment très mécontent
de la tournure de cette affaire. Savary, ainsi que le ministre de la Guerre, Clarke, sont vertement
tancés, l'un pour s'être fait berner, l'autre pour son manque notable de
réaction face au coup d'État. Tous deux sont néanmoins confirmés dans
leur poste.
La chute de
l'Empire Blason de Savary, duc de Rovigo. Sous le chef des Ducs de l'Empire : d'azur,
au chevron d'or, accompagné en chef de deux molettes d'éperons d'argent
et en pointe d'un sabre en pal du même.
La campagne de
France Article détaillé : Campagne de France (1814).
Après cet épisode Savary perd beaucoup de sa crédibilité, tant auprès
de l'Empereur qu'auprès de la population. Néanmoins Napoléon n'a plus
guère la possibilité de se soucier des affaires intérieures : après la retraite de Russie et la défaite de Leipzig, la Sixième Coalition semble en passe de
défaire la Grande Armée. Dès lors s'engage la campagne de France de 1814. Soucieux
de maintenir la cohésion nationale, l'Empereur pousse son ministre de
la Police à veiller à une meilleure application de la conscription, à
étendre la censure et à mettre en place une propagande plus crédible et
plus solide
[48].
Savary s'efforce de suppléer au mieux aux ordres de son maître mais il
tient de plus en plus la victoire de la France pour impossible
[49].
En dépit de cela, son dévouement envers Napoléon reste entier
[50],
raison pour laquelle ce dernier le nomme au conseil de régence.
À partir de mars 1814, la situation devient critique à Paris. Le duc de
Rovigo décrit à l'Empereur une ville à bout de ressource et d'énergie
[51],
alors même que les coalisés ne sont qu'à quelques journées de marche de
la capitale. Le 27 mars 1814,
l'impératrice Marie-Louise et le lieutenant
général de l'Empire, Joseph Bonaparte décident de quitter la ville avec le roi
de Rome, contre l'avis de la plupart des ministres dont Savary.
Celui-ci commet alors, bien qu'il s'en défende dans ses mémoires
[52],
l'erreur d'autoriser l'ancien comploteur Talleyrand à rester à
Paris
[53] Savary ne tente pas de rejoindre l'Empereur à l'heure de l'abdication
[55].
Dès lors il tente de faire oublier son passé et s'efforce de se
rapproche du nouveau régime. Il
cherche l'entremise des frères Polignac, de Talleyrand et même du Tsar
de toutes les Russie Alexandre
[56];
cependant ses initiatives demeurent infructueuses, et le duc est prié
de quitter la capitale.
Le 20 mars 1815,
Napoléon est de retour à Paris. Savary s'empresse de rejoindre son
ancien maître qui le reçoit sans grand enthousiasme
[57].
Là, le duc de Rovigo aurait, selon ses dires, refusé d'être reconduit
dans ses anciennes fonctions
[58].
Toujours est il qu'il apprend que le ministère de la Police est rendu à
Joseph Fouché. En échange, Savary reçoit le titre de
Premier Inspecteur de la gendarmerie, avec pour mission de contrer les
pouvoirs du nouveau ministre
[59].
Il est également honoré de la pairie le 4 juin 1815. Néanmoins, le duc de Rovigo n'eut pas l'occasion
d'agir d'une quelconque manière que ce soit. Le 21 juin, le tonnerre de Waterloo réduit au silence les fidèles
de l'Empereur.
Les Anglais ne souhaitent toutefois pas garder les
deux officiers éternellement prisonniers. Le gouvernement britannique
fait donc savoir à Savary et à Lallemand qu'ils sont libres de partir
[62] à la condition expresse qu'ils se prêtent à un simulacre d'évasion
[63].
Ce prérequis s'explique par le souhait de la couronne britannique de
rester en bons termes avec la France où s'apprête à s'ouvrir le procès
des prisonniers. À la fin de l'année 1816, les
généraux français quittent donc leur prison maltaise et embarquent sur
un navire anglais à destination d'Odessa.
Ils débarquent toutefois à Smyrne.
C'est là qu'en janvier 1817, il apprend l'issu de son procès : la Chambre des pairs l'a condamné à mort par contumace
[64].
Le duc et Lallemand quittent Smyrne et l'Empire ottoman d'où ils ont été expulsés à la demande de
l'ambassadeur de France pour l'Empire d'Autriche. Arrivé à Trieste,
il est reconnu par les autorités, mis aux arrêts et emmené en résidence
surveillée à Gratz
en juin 1817
[65].
Un an plus tard, le prince de Metternich accepte de laisser
repartir le duc de Rovigo pour Smyrne où ce dernier se reconvertit dans
le commerce avec un succès très mitigé
[66].
Suite à une rixe avec un officier de la Marine Royale française en avril 1819, Savary
apprend que les autorités françaises envisagent de le faire conduire
dans une autre ville de l'Empire ottoman. Prenant les Ottomans de court,
il s'embarque en secret pour Londres.
Il choisit ensuite, sur les conseils de sa famille et de ses amis, de
rentrer en France et d'obtenir un second jugement
[67].
Le 27 décembre 1819, le
procès du duc de Rovigo s'ouvre à nouveau devant le conseil de guerre. Défendu par Dupin,
l'avocat du maréchal Ney, il doit répondre des mêmes chefs
d'accusation que lors de son procès de 1816
c'est-à-dire ses actes durant les Cent-Jours.
À l'issu du vote, cette fois, Savary est acquitté à l'unanimité
[68].
Il est rétabli dans ses titres et dignités mais pas dans ses fonctions
et ne se voit pas confier de commandement. Savary souffre en effet d'une
exécrable réputation chez certains royalistes lui reprochant toujours
son rôle dans la mort du duc d'Enghien, aussi décide t-il de faire
publier sa vision des faits. Le 30 octobre 1823
paraissent les
Extraits des mémoires de M. de Rovigo concernant la
catastrophe de Monseigneur le duc d'Enghien où il prouve la
responsabilité initiale du prince de Talleyrand
[69].
Talleyrand répond rapidement et habilement en menant une campagne de
presse efficace contre le duc. Il bénéficie par ailleurs de
l'approbation de la Cour
[70] qui avait pourtant autorisé la parution de ces mémoires. Talleyrand
l'emporte, le roi prend officiellement son parti et interdit au duc de
Rovigo de se présenter à nouveau au palais des Tuileries. Peu après cette affaire, le 3 décembre 1823, le duc
est mis à la retraite, à l'âge de 49 ans seulement.
En 1828,
Savary fait paraître ses
Mémoires pour servir à l'histoire de
l'empereur Napoléon,
C'est là qu'il apprend la chute de Charles X et l'avènement de la monarchie de Juillet le 31 juillet 1830. Le duc
s'empresse de regagner la France faire allégeance au nouveau roi, Louis-Philippe Ier
Il meurt à Paris, vraisemblablement d'une forme
de cancer du larynx
[78] le 2 juin 1833. Un
rapport d'une commission
d'enquête parlementaire de juillet 1833 condamne
vigoureusement sa politique en Algérie
[79].
Le nom du duc est gravé sur l’arc de triomphe de l'Étoile,
côté Est. La tombe de Anne-Jean-Marie-René Savary, duc de Rovigo se
trouve au cimetière du Père-Lachaise, 35
e division.